André Martin
André Martin naît en Normandie en 1928, à Saint-Laurent en Caux, petite ville tranquille où ses parents possèdent un garage, il y passe son enfance avec ses deux frères cadets, Guy et Claude. Il fait ses études secondaires au lycée Corneille à Rouen. C’est la guerre, l’angoisse des bombardements sur la ville et des lendemains incertains. En revanche, l’après-guerre est une période de découverte : les randonnées avec les éclaireurs de France, les camps à la montagne et les rencontres internationales des scouts aiguisent son goût pour les voyages. Lors de ses pérégrinations, il assiste aux premiers concerts des Frères Jacques et de Charles Trenet dont il chantera les chansons toute sa vie. Sa nature optimiste le prédispose à aimer la vie, son esprit de curiosité lui ouvre un univers nouveau qui l’enthousiasme : celui du jazz, de la littérature et du cinéma américains interdits pendant la guerre.
En 1948, ses parents s’installent à Paris, cela tombe bien car il décide de s’inscrire à l’école de photographie et de cinéma de Vaugirard, aujourd’hui l’ENS Louis-Lumière, où il suit une formation d’opérateur de prises de vue et de prises de son. Son diplôme obtenu, il travaille comme assistant opérateur de longs métrages, puis chef opérateur de moyens métrages et de films publicitaires. Dès cette période, son engouement pour l’ethnologie marque un tournant décisif et le dirige définitivement vers la photographie : c’est un travail de solitaire et d’observateur qui lui convient mieux que le cinéma. Ses lectures de Lévi-Strauss et le cinéma vérité de Jean Rouch le persuadent que l’Afrique de l’Ouest doit être sa destination. Il a une âme d’aventurier et part sur un rafiot ; qu’importe, l’avenir est à lui. Il rencontre Marcel Griaule, titulaire de la première chaire d’ethnologie à la Sorbonne qui travaille sur les Dogons, paysans-guerriers du Mali. Le jeune photographe découvre alors cette partie du Mali, encore préservée du passage des colonisateurs. C’est le coup de foudre. Il entreprend une série de reportages avec son Rolleiflex sur l’Afrique de l’Ouest qui est son premier travail personnel.
En 1952, il fait son service militaire au Service cinématographique des Armées qui l’envoie filmer les inondations en Hollande, les digues submergées, ainsi que des cérémonies militaires, des manœuvres hors du territoire... Bref, il se fait la main et met en pratique son savoir. Il y retrouve deux de ses compagnons de l’école de Vaugirard, Jacques Demy et Henri Coste.
En 1953, il passe plus de 18 mois en Indonésie avec une expédition ethnographique dirigée par Pierre Ivanoff et en compagnie d’un jeune photographe, Raymond de Seynes. Ses photos illustrent un livre sur la tribu des Dayaks, Chez les chasseurs de têtes de Bornéo. Dans la foulée, il réalise avec Serge Bourguignon un film sur Bali, premier film 16mm couleur et cinémascope, ainsi que des enregistrements musicaux de Bali et de Bornéo édités par le Musée de l’Homme. Le cinémascope est alors une nouveauté. C’est grâce au professeur Henri Chrétien, inventeur d’un objectif anamorphoseur, l’Hypergonar que le film sur Bali est réalisé. En 1956, il épouse Michelle Caroly avec qui il sillonne la France, fait des conférences sur Bornéo et présente le film sur Bali pour Connaissance du Monde.
En automne 1955, premier voyage en Espagne où il découvre l’art mozarabe, il y retourne en avril 1956 et passe plusieurs mois en Andalousie où il fera un travail plus élaboré sur la société sévillane : semaine sainte, feria et corridas qui clôturent toute festivité espagnole. Il devient aficionado, photographie dans l’arène les grands matadors, Dominguin, Ordonez, Ortega, Giron... L’ethnologue photographe s’attarde sur les gitans, en grand nombre à cette époque, leurs fêtes, leurs marchés aux mulets et aux ânes où l’on retrouve joueurs de guitare et danseurs de flamenco. De retour à Paris, ses photos attirent par l’originalité de la prise de vue et des sujets traités. Les éditions du Seuil décident alors de les publier et choisissent José Bergamin, grand écrivain et poète espagnol, pétri de tauromachie, qui écrira le texte de Cante Hondo.
L’année 1957 marque un tournant décisif dans sa vie professionnelle : il abandonne le Rolleiflex pour travailler au Leica. Vif à saisir l’événement, le format 24x36 convient mieux à son œil de reporter. Il part à l’aventure en Italie, sans projet particulier, s’arrête à Rome où il rencontre plusieurs écrivains, dont Carlo Lévi. Celui-ci retient son attention depuis qu’André Martin a lu son livre le Christ s’est arrêté à Eboli et l’encourage à poursuivre son voyage vers le Sud où il avait été exilé pendant le fascisme, lui parle de la Sicile où Danilo Dolci fait la grève de la faim pour protester contre la Mafia. La voie est tracée. Pendant six mois, il parcourt la Lucanie, la Calabre, les Pouilles et la Sicile sur les routes chaotiques du Mezzogiorno, région pauvre et isolée, coupée du Nord. Le photographe a encore l’esprit boy-scout et campe ici et là ; toujours à l’affût d’un événement, il trouve son chemin hors des sentiers battus. Il découvre ce pays du sud de l’Italie, coincé entre « l’eau salée et l’eau bénite » où le sacré est le seul remède à la misère d’un peuple qui n’a pas encore été touché par les grands courants de la pensée européenne. Ernesto de Martino, sociologue, spécialiste des phénomènes magico-religieux, le convainc qu’il a un sujet inédit et exceptionnel à photographier. Il entreprend alors un reportage sur toutes les formes d’expressions conditionnées par la culture, la religion et le mysticisme qu’avait connus le Moyen Age. Sa passion pour l’ethnologie ne l’a pas quitté. Il désire publier ces témoignages de phénomènes mystiques et envoie le reportage à Life Magazine qui le refuse à la demande de l’ambassadrice des U.S.A. au Vatican. Sujet trop sulfureux ! Finalement, André Martin tirera plus tard de ce reportage un livre publié par les éditions Entente en 1974, un « livre d’une terrible beauté » comme le définit le psycho-ethnologue François Laplantine. Les noires vallées du repentir sera distingué par le prix Nadar en 1977 et s’inscrit dans la ligne des grands reportages sociologiques d’Europe de William Eugène Smith à Josef Koudelka.
C’est en 1959 qu’André Martin fait la connaissance de Robert Delpire, « l’œil de Paris » comme le dépeint Jacques Séguéla. La rencontre de ces deux maîtres de l’œil sera le début d’une longue amitié, connivence qui durera 40 ans et mènera à une solide collaboration dès 1960. Etape décisive dans la carrière du photographe marquée tant par les reportages, livres thématiques et expositions que la publicité ou les brochures institutionnelles.
Son travail avec Delpire commence par l’architecture. Il illustre cinq ouvrages dans la collection Le génie du lieu dont les textes sont écrits par des auteurs de renom : le Château de Chambord par Pierre Gascar, la Grande Mosquée de Kairouan par Paul Sebag, la Basilique de Saint-Marc par Pierre Gascar, la Tour Eiffel par Roland Barthes et les Temples de Khajurâho par Marcel Flory. Souci du détail architectural, rigueur de la forme, mise en pages recherchée font l’originalité de cette collection dans laquelle les photos sont en majorité en noir et blanc. Plus tard, il prend plaisir à photographier le Paris haussmannien, l’exubérance des toits, les ponts, les perspectives ponctuées de monuments imposants... Ces photographies illustrent le livre Tout Paris dans la collection Terre ouverte, avec un texte de Claude Roy.
Il participe largement à la collection Encyclopédie essentielle avec ses photos et les documents iconographiques qu’il possède. Il partage avec Delpire ce goût de la recherche pointue. Ses audaces visuelles s’accordent avec le graphisme de l’éditeur.
Il y a un autre langage, celui de la publicité. Citroën fait appel à Delpire éditeur pour développer un style de communication, la publicité devient alors création artistique afin de mettre en valeur les formes et les innovations de sa marque de voiture. C’est d’abord le dépliant 2CV, puis celui de la DS qui est la vedette après avoir gagné plusieurs rallyes, dont celui de Monte-Carlo en 1959, et obtenu une renommée retentissante en 1962 à la suite de l’attentat du Petit-Clamart visant le général de Gaulle. Ces succès poussent Citroën à créer une écurie que dirige René Cotton dès le début des années 60. Lors des essais pour les rallyes, qui mieux qu’André Martin pouvait saisir l’élégance et la virtuosité de cette belle sculpture filant sur les routes glacées de montagnes ! Son œil comprend comment magnifier la DS, la sublimer en amplifiant l’effet de filé, le bougé, le cadrage. Il dynamise ainsi l’effet de vitesse, « sa photo faisait du bruit » disait Jacques Wolgensinger. L’épopée Citroën se termine en 1979 par l’édition des Quatre saisons, livre unique sur la CX photographiée dans des paysages aux teintes « plus vraies que des rêves » d'après Jacques Wolgensinger qui en écrit le texte. Robert Delpire consacre une exposition à ce livre qui montre la « somme poétique belle et sensible des rapports de la voiture à la nature » qu’André Martin a su rendre dans ses photos. Il choisit de photographier la CX dans des paysages, préférant des sites champêtres plutôt qu’urbains, où l’homme n’est pas visible.
Après l’époque Citroën, il serait vain d’énumérer toutes les marques pour lesquelles André Martin exécute des travaux publicitaires, il ne cesse de faire des reportages pour plus de 50 établissements jusqu’en 1992. Les années 80 marquent un goût prononcé pour les livres de décoration et de voyage afin de satisfaire l’envie de connaître des modes de vie différents. Le besoin de dépaysement fait alors l’objet de reportages qui remplissent magazines et livres pour un public toujours désireux de nouveautés. A sa manière, André Martin participe à cette invitation aux rêves en travaillant avec de multiples magazines, tels Marie-Claire, Elle, Vogue, parmi tant d’autres, et ainsi tout au long de sa vie. Lors de ses reportages, il rencontre stylistes et rédacteurs avec qui il partage l’élaboration de projets.
La collaboration avec la rédactrice de Marie-Claire, Jeanne Dodeman, en est un parfait exemple et se montre fructueuse. Dès 1976, ils font le tour du monde deux à quatre fois par an, explorant les endroits les plus divers, de l’Asie à l’Afrique, des continents américains à l’Europe, suivant les saisons, les modes et les besoins du moment, retournant parfois en dans des lieux connus et aimés, ou découvrant de nouveaux pays. Il n’y a guère d’endroits qu’ils n’aient visités durant cette épopée qui durera jusqu’en 1988, vivant dans la plus parfaite harmonie, chacun assumant son travail, sans qu’interfère aucune aide extérieure : Jeanne Dodeman assure la rédaction et l’organisation des voyages, lui photographie. Il a besoin d’être seul, libre de toute entrave pour avoir « une disponibilité totale de l’œil et de l’esprit ». C’est un voyageur infatigable, un marcheur, il ne s’encombre pas de matériel, il faut travailler sans s’attarder au superflu; la lumière et le sujet changent vite. Il voit les choses rapidement, garde l’essentiel de l’événement à photographier. Montrer un pays lointain pour faire rêver le lecteur demande un regard aiguisé et un esprit ouvert sur d’autres horizons. Il faut aussi les comprendre, ce qu’il fait sans difficulté grâce à son immense culture, sans cesse lisant et se documentant avant et pendant les reportages, écoutant des musiques du monde, s’imprégnant d’autres civilisations... Sans cette connaissance, il lui est inconcevable de travailler sur un sujet, sans en avoir assimilé son essence. Gabriel Bauret relève à propos des reportages, qu’André Martin disait « qu’on n’a pas le droit d’être malhonnête, de tordre son sujet. Même si l’on doit faire rêver les gens, il faut montrer ce qui existe ».
Fin des années 80, l’engouement du public pour les saveurs nouvelles se développe avec la redécouverte de l'art de la cuisine. Tout naturellement, les livres thématiques sur la gastronomie foisonnent pour reconstituer les styles, les goûts et l’atmosphère d’un passé retrouvé. La gastronomie est une autre forme de nature morte, un domaine dans lequel André Martin excelle. Cet art de vivre exige une mise en scène pour allier les produits du terroir, le travail aux fourneaux, l’élégance de l’art de la table. Afin de reproduire en image un plat, il faut comprendre la photographie culinaire, savoir la travailler pour rendre le met vivant et gustatif, l’embellir, se lancer dans des compositions parfois insolites pour surprendre, bref, s’évader dans la fantaisie. « Tout est dans l’œil », dit André Martin. Comme l’écrit Jean Giono : « La vie de l’homme est une chasse au bonheur. Parmi ces bonheurs, l’exercice de la gourmandise en est un des plus importants ». Le photographe, la styliste et le chef sont les artisans de ce bonheur de vivre, leur domaine demande une grande exigence et un savoir-faire qu’ils ont, mais encore faut-il harmoniser le geste juste du chef qui crée une recette et « l’œil lumineux » du photographe qui la ressent pour transmettre au lecteur l’onctuosité du chocolat, la fumet d’une pintade ou le glacé d’une poire. Le travail de la styliste-rédactrice, spécialiste de la gastronomie comme l’est Jacqueline Saulnier, est de concocter des arrangements culinaires dont l’esthétisme colle avec l’œil du photographe. Pendant plus de 10 ans, Jacqueline Saulnier et André Martin partagent curiosité et gourmandise en bonne entente. Leurs affinités les entraînent à mettre en œuvre leurs expériences sur les saveurs retrouvées grâce au talent du chef étoilé du Grand Hôtel du Lion d’Or à Romorantin, Didier Clément, et de son épouse, Marie-Christine, historienne du goût. Cette « invitation au rêve gourmand » se poursuit et se réalise dans des livres comme Colette gourmande, Sologne gourmande, les délices des petites filles modèles, à la table de George Sand. Cette route gastronomique se poursuit avec La Provence gourmande de Jean Giono, les recettes du marché de Sylvie Tardrew, l’Alsace des saveurs retrouvées et les bonnes recettes italiennes des Carluccio.
Son goût pour la Nature remonte à 1967, après la naissance de son fils Yan, quand André Martin achète une maison de campagne dans l’Oise. La famille y passe ses week-ends, source de joie, de bonheur et de moments de détente dont André profite pour photographier la campagne aux alentours. C’est un pisteur né, il aime découvrir des lieux insolites, guetter l’instant idéal, attendre le bon vouloir de la lumière pour photographier ses paysages. Certes, l’objectif saisit la réalité de cet instant éphémère lors du déclic, mais la vision de l’artiste reflète un paysage impressionniste, grâce à sa composition et à la lumière recherchée.
Dès 1970, ses photographies couleur paraissent dans le livre Images d’une France, véritable consécration du paysage. L’auteur, Pierre Gascar, a bien compris le chemin du photographe, semblable à celui du peintre impressionniste qui « saisit, fixe si bien les aspects secrets de la réalité ». Sans cette perception des transfigurations de la lumière qui se reflètent dans le monde végétal, sa photographie serait une simple reproduction sans âme. C’est ce don de communiquer une sensation au-delà de l’apparence réelle qui lui est particulier. Chez les impressionnistes, les ombres sont colorées, les siennes sont lumineuses. Dans ses paysages, il y a souvent une percée vers un horizon de clarté, même si le ciel est réduit au minimum. Mais, à la différence du peintre qui prépare sa toile, lui travaille au gré de la lumière, tout en ayant déterminé auparavant son cadrage.
Nous voyons rarement la totalité d’une réalité dans ses détails, parce que notre vision, comme notre mémoire, est sélective. Mais lui, avec sa grande sensibilité, peut sélectionner l’élément à reproduire et l’enfermer dans un cadre pour révéler un instant particulier qui nous échappe. Tout élément est à considérer. Il ne laisse rien échapper, ni la pluie qui fait briller les végétaux, ni le vent qui donne le mouvement... Il dit : « les arbres n’ont pas les mêmes couleurs en mouvement ou immobiles ». Tout se passe dans l’œil. Il sait capter les changements de lumière et de mouvement ; c’est la raison pour laquelle ses photographies ont une âme. Elles projettent une réalité bien à lui, idéalisée, mêlant poésie et observation incisive. Son regard va au-delà de la simple réalité pour rendre la profondeur et l’essence d’un sujet. Chaque photo est un instant unique volé au temps. Au moment où la lumière lui semble idéale, il ne peut y avoir une seconde chance, car c’est au hasard d’une rencontre qu’il trouve l’instant recherché pour donner de l’objet sa propre vision. « C’est la lumière qui fait l’image », dit-il.
Natif de la Normandie, André Martin aime ses bocages humides, baignés d’une lumière irisée partout présente. Il prend autant de plaisir à humer l’odeur de la forêt qu’à photographier le dépouillement de l’architecture normande comme dans Toute la Normandie écrit par Pierre Gascar. Il entreprend un travail personnel sur les formes de végétaux de toutes sortes et de toutes provenances, cernés dans les moindres détails avec la précision d’un scientifique, tout en sublimant leurs particularités. L’étude approfondie du Végétal, des fleurs en particulier, telle Vie et mort d’un iris en est un bon exemple et fut exposée dans le cadre de Botanica au Palais de Tokyo en 1987 et au Japon en 1993 et 1994.
A partir de 1990, ses photographies illustrent des ouvrages sur des sujets différents : fleurs exotiques, végétaux fossilisés, insectes étranges... Dans ses natures mortes, il ne travaille pas seulement la lumière mais aussi la composition et la matière. Tout se résume dans sa phrase : « il n’y a pas que la lumière qui m’intéresse, c’est montrer l’épaisseur de l’air. Que cela vibre, que cela vive ! ». Qu’il s’agisse de fleurs de bananier, de crotons aux couleurs surprenantes, de roses de porcelaine nacrée, de palmiers en éventail... ses végétaux semblent vivants, presque palpables.
Ses photos en noir et blanc constituent une grande part de son travail personnel et n’ont pas toujours fait l’objet de parutions, sauf dans Fragments d’une Histoire naturelle. Cet ouvrage posthume, hommage au photographe et à sa manière de travailler sur la Nature, est tel un cabinet de curiosités où le lecteur peut se perdre tant les sujets abordés sont nombreux. Chaque photo est une invitation à mieux comprendre les valeurs essentielles qu’il recherchait à reproduire, qu’elles soient dans l’exubérance d’une plante, le dépouillement d’une forme, l’estompe d’un paysage ou l’étrangeté d’un objet. Tout est une question de voir et de comprendre.
C’est en particulier dans ses photographies de jardins que l’on ressent le plus la vibration des couleurs d’une fleur éphémère, le nacré d’un pétale, la fragilité ou la pesanteur d’un objet. Il lui arrivait de rapporter des rosiers qu’il plantait dans son jardin pour le plaisir de voir éclore la rose qu’il voulait immortaliser. Il s’inspirait de peintres, tel que Redouté, pour la présentation de ses natures mortes de fleurs et de fruits. Le peintre préfère l’aquarelle pour mieux rendre la transparence ou l’opacité des roses, le photographe, lui, recherche les jeux de lumière et de matière pour exalter la beauté d’une fleur ou la transparence d'un vase. Il ressort de la simplicité de ses compositions une impression de profonde vérité et de précieux. Son intérêt pour la Nature l’incite à composer un herbier. Quoi de mieux pour comprendre le monde végétal, non pour l’amour de collectionner des raretés mais pour le plaisir de composer une nature morte et de la photographier. Le début des années 90 marque la fin des travaux publicitaires et des grands voyages. Dans le calme de sa maison, il a le loisir de se consacrer à la botanique dont la sophistication fascine son œil soucieux du détail. C’est un travail minutieux de suivre les changements de lumière sur des végétaux. Il est dans son élément favori, il prend son temps, observe, et ainsi réalise des milliers de photographies, immense travail personnel peu publié.
Ceux qui connaissent André Martin parlent de « poétique éclectisme », qualité qui lui est propre et séduit son entourage. Quand il travaille sur une nature morte, pour la rendre vivante, il a l’art de composer un décor avec des objets, pour la plupart rapportés de ses voyages. C’est un « goûteur de lumière ». Avec un sens du détail très aigu, il fait jaillir un monde de sensations à travers ses photographies. Comme le décrit Ester Henwood, il est « intègre, authentique, généreux, l’humanité de son regard « bleu-Gabin » transparaît toujours dans ses images. Quelles soient natures mortes, portraits ou paysages, j’y ai toujours trouvé ce tact qui lui est personnel ».
André Martin ne se laisse pas enfermer dans un genre unique, il trouve son bonheur dans la photographie sous toutes ses formes et en tous genres, pour son propre plaisir ou pour ses commandes de reportages. D’un naturel réservé, il ne parle pas beaucoup de lui, mais il sait être jovial et aime passionnément son métier. Sa curiosité n’a pas de limite, tantôt explorant le monde à la recherche d’autres civilisations pour des reportages, tantôt travaillant pour son plaisir. Il sait tout photographier, analyser et structurer, il a tous les talents et maîtrise ses sujets, du paysage à la nature morte, de l’éléphant d’Afrique à l’automobile, du bouton d’iris à l’insecte. Il a une étonnante aptitude à tirer parti des situations les plus variées ; ses valeurs se reflètent dans ses compositions et l’atmosphère qui en ressort, tout est dans sa sensibilité. Seule, une infime partie de son œuvre est publiée, ses images, la finesse de ses cadres constituent une inépuisable et somptueuse ressource artistique. Son vieil ami Delpire l’a bien compris : « en noir et en couleurs, ses paysages témoignent de cette qualité du regard propre à André Martin, exprimant une sensibilité du végétal, à la lumière, aux subtiles variations des saisons qui n’a, dans la photographie contemporaine, pas d’équivalent ».
L’Afrique de l’Ouest est son terrain de chasse de prédilection, il s’y sent à l’aise, chez lui en quelque sorte. Dès 1968, il retournera en Afrique régulièrement pour photographier ses paysages et sa faune, au Tchad, Zaïre, Kenya, etc… Il semble qu’il n’en a jamais fini de photographier cette terre rouge qui lui tient à cœur. Et puis un jour de janvier 1999, il y part avec son fils, Yan, et son ami Nicolas Bruant. C'est son dernier voyage. Etrange destin pour cet idéaliste, toujours en quête d’absolu, de perfection. Il commence sa carrière professionnelle au Mali 50 ans auparavant, il y perd la vie dans un tragique accident de la route alors qu’il travaille sur les Dogons, en pleine force et désir de vivre.
Texte de Michelle Caroly, mise en forme et en images de Yan Martin.
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